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Édition décembre 2023

Histoire
« vraie »
de chasse
aux pigeons!

Texte, photos et vidéos : François Lévesque
Révision : Michel La Haye

Le pigeon des uns fait le bonheur des autres!

Jeudi 18 janvier, le téléphone sonne. Un agriculteur sur les terres duquel je chasse les oiseaux migrateurs depuis longtemps est au bout du fil, le ton exaspéré.

« Salut, j’ai un gros troupeau de pigeons, si tu es toujours intéressé… »

N’ayant pas chassé depuis plusieurs semaines déjà, je vis cette demande non pas comme une corvée ou un service à rendre, mais bien comme une opportunité inespérée! C’est donc avec joie que je prépare mon matériel pour le lendemain: permis, cartouches de pratique en sept et demi et bien sûr mon bon vieux Auto 5 de 1960 que je ressors pour ces occasions car, pour une fois, j’ai droit à cinq coups!

Vers les 9 heures le lendemain matin je suis sur place. Je stationne mon véhicule non loin des bâtiments de ferme afin d’observer le manège des oiseaux. J’en aperçois une dizaine juchés sur des silos à grains et quelques autres qui virevoltent au-dessus d’une ancienne fosse à fumier. Ils complètent leur tournée par un atterrissage à la verticale sur le toit d’un bâtiment de tôle passablement décrépi, que je présume être leur site de repos diurne.

J’observe, à l’aide de mes lunettes d’approche, de grandes plaques jaunâtres sous les silos, probablement du maïs. J’en déduis que leur site de nourriture est le bas des silos à grains et leur site de repos est le bâtiment de tôle. Je dois en conséquence me placer tout près du site nourricier et un ami qui m’accompagne ce matin-là ira se poster de manière à pouvoir intercepter les fuyards qui voudront se précipiter vers le dortoir suite à mon éventuelle pétarade.

Environ cent mètres séparent les deux bâtiments et nous tirerons les pigeons au vol de manière à pointer nos canons et faire feu vers les champs, loin des bâtisses et en toute sécurité.  Retenez bien ce point, pour la sécurité de tout le monde autour et pour garder votre permission en or, c’est essentiel d’éviter que les billes, même en chute libre et sans force de pénétration, ne rebondissent sur les toits des bâtiments.

Nous descendons donc du camion et préparons notre attirail en attendant que la majorité des pigeons se posent sur le site nourricier. Une fois la plupart des oiseaux bien attablés, j’entame mon approche furtive vers le gueuleton de céréales en contournant l’étable qui fait face aux silos, arme en main. Le vent glacial me pince la joue mais ça en vaut la peine. De ma position, je suis en mesure d’apercevoir mon partenaire en train de se dissimuler derrière un gros arbre avec une vue en plongée sur le dortoir. Il me fait signe avec le pouce qu’il est prêt.

J’avance donc vers les pigeons en diagonale mais sans me dissimuler car je suis déjà à portée de tir et je veux provoquer leur envol vers la zone de tir sécuritaire et le dortoir. Alors qu’il ne me reste plus que 5 mètres à franchir pour atteindre un gros pigeon roux avec ma botte, un mur de plumes s’élève devant moi dans un vrombissement décuplé par la poussière de neige soulevée par l’envol d’environ soixante pigeons au gros soleil. Je dois attendre que le troupeau dépasse le point convenu afin d’avoir un tir sécuritaire et j’ai l’index qui me démange furieusement. Le tas de volatiles s’engage maintenant dans le corridor de tir et je laisse partir cinq salves dans la volée, trop excité pour viser.

Cinq gros pigeons gris touchent le sol devant moi et un magnifique spécimen bleu-vert va choir dans le champ.

J’aperçois le reste de la volée qui s’approche du repaire de mon compagnon quand soudain une pétarade éclate sous les pigeons. Mon partenaire a le sourire fendu jusqu’aux oreilles. Je me dépêche de recharger en regardant tomber les oiseaux au sol; au moins six ont péri lors de cette deuxième attaque. Surpris de ce feu d’artifice, les volatiles reviennent vers le site nourricier en trombe et, alors que je fais pénétrer la cinquième balle dans la chambre de l’arme, le groupe qui m’aperçoit vire au-dessus de ma tête pour franchir à nouveau le corridor de tir. Je n’en demandais pas tant! Je laisse partir mes cinq coups vers le nuage de pigeons. Résultat : quatre victimes dont le gros roux qui s’abattent lourdement sur un tas de gravier situé au pourtour du champ.

Mon compagnon aura cette fois moins de chance car les volatiles apeurés ne retournent pas au dortoir et filent vers le large, vent dans le dos. Nous savons qu’il faudra une bonne heure pour qu’ils reviennent mais nous avons toute la journée devant nous!

La récolte de pigeons dont il est question dans le récit de début d’article.

Une chasse excitante

La chasse du pigeon, en plus d’être utile pour les producteurs agricoles qui nous honorent de leurs permissions, peut s’avérer tout à fait excitante pour peu que l’on s’y mette. Point besoin d’attirail encombrant ou même d’appelants pour abattre du gibier et la première heure de chasse est souvent intense, tant par la possibilité de tirs décuplée que par la vitesse de vol des oiseaux. Au Québec, il n’y a pas de limite de prises journalières ni de dates de fermeture pour cet oiseau : sa chasse est permise toute l’année.

La chasse au pigeon est permise toute l’année et on peut le chasser autant l’hiver que l’été.

Prospection

À la chasse au pigeon, rien ne sert de commencer la prospection aux aurores. Ils sortent généralement assez tard en matinée et peuvent de toute manière être localisés facilement. Les bâtiments de ferme abandonnés ou délabrés, comportant des ouvertures importantes mais au toit relativement intact, abritent souvent ces colonies d’oiseaux. Un bon coup sur la tôle vous renseignera assez vite.

Des bâtiments ouverts à proximité desquels l’élevage d’animaux est pratiqué sont encore plus susceptibles d’abriter le pigeon biset.

Les élevages comportant des aires ouvertes font merveille auprès des pigeons et des étourneaux, surtout quand la moulée d’élevage est entreposée dans des abris à l’air libre.

Les armes

J’aime utiliser une arme à canons superposés pour cette chasse car elle n’est pas l’activité la plus salissante en comparaison des chasses de battures ou en champs les jours de pluie. La boue épaisse sur les bois fins vous fait vite regretter d’avoir agi en Dandy. Ainsi, quand il y a peu d’oiseaux et que je sais que je devrai revenir pour en abattre deux ou trois, le superposé est de mise. Cependant, lorsqu’il y a beaucoup d’oiseaux, je préfère une bonne puissance de feu pour montrer au producteur que je travaille pour ses intérêts autant que je m’amuse. Le calibre 12 est tout à fait acceptable mais la chasse du pigeon est une excellente occasion de sortir votre 20 ou même un .410, toujours avec de la grenaille sept et demie.

J’utilise des munitions de pratique comme la Challenger deux pouces et trois quarts avec de la grenaille de plomb de grosseur 7 ½. C’est amplement suffisant car le pigeon de nos campagnes n’est pas un oiseau particulièrement résistant. La grenaille numéro 6 ou même la 8 est adéquate mais attention de ne pas dépasser ces extrêmes : plus gros que 6 le patron manque de densité et plus petit que 8 c’est insuffisant à longue distance. Un étranglement modifié est un passe partout qui fait bien le travail.  Michel me dit que dans l’est ontarien, il y a beaucoup de chasseurs de pigeons, ceux-ci sont, par conséquent, assez méfiants et les tirs se font sur de plus longues distances. Il utilise donc du no 4 pour avoir une plus grande portée de tir afin de compenser pour la méfiance des pigeons ontarien.

Comme pour beaucoup de chasses d’hiver, le port de vêtements blancs incluant couvre visage et bonnet vous donnera un avantage certain. Le port du dossard orange n’est pas obligatoire pour chasser le pigeon biset au Québec, profitez-en!

Stratégies de chasse

Les européens chassent le pigeon ramier ou Palombe avec passion. Des appelants vivants et des cabanes de chasse élaborées appelées palombières sont utilisées dans le sud de la France et font partie de traditions plus que centenaires là-bas. Ici, c’est fort différent et le pigeon biset est vu comme une nuisance plutôt que comme un gibier. Les stratégies de chasse diffèrent donc complètement que l’on soit en Europe ou au Québec.

Pour ma part, je n’utilise pas d’appelants mais plutôt le positionnement stratégique. Cette méthode consiste simplement, tel que l’exemple en introduction, à exploiter la topographie des lieux, la présence de bâtiments, d’obstacles divers et les habitudes des pigeons afin de se positionner avantageusement par rapport aux corridors de vol des oiseaux pour les tirer lors de leurs déplacements.

Munissez-vous d’une bonne paire de jumelles afin de pouvoir repérer facilement la présence du gibier convoité sur les lieux. Un bon récipient isolant plein de votre mouture préférée rendra le périple encore plus agréable.

Il faut d’abord repérer trois sites : le site de repos diurne, le site nourricier et le site de repos nocturne des pigeons. Les oiseaux alternent presque en permanence entre ces trois sites. De plus, lorsqu’ils se font chasser pour la première fois de l’année, ils font le tour des sites trois à quatre fois avant de comprendre ce qui se passe. Cela permet au chasseur d’en abattre une bonne quantité. Le manège dure environ trente minutes, un peu plus s’il neige et que vous êtes vêtus de blanc et encore plus si un bon vent souffle.

Par la suite, les oiseaux volent très haut et loin du danger ou encore, s’il y a un autre site non loin qui leur fournit un abri conséquent, ils y demeurent pendant une certaine période avant de revenir vers leur lieu de départ. Vous pourrez alors obtenir encore une ou deux bonnes passes.

Vous pouvez aussi chasser au moyen d’appelants que vous disposerez de manière à ce que les oiseaux puissent les apercevoir lors de leurs déplacements. Cette stratégie de chasse est particulièrement adéquate lorsque les oiseaux n’ont pas à proprement parler de site nourricier et qu’ils fréquentent les champs autour de l’exploitation agricole. Cela permet en effet de disposer l’installation assez loin des sites de repos et de ce fait de ne pas trop apeurer les oiseaux lors des tirs autour des appelants.

Gastronomie

Le pigeon d’élevage bien apprêté est succulent. Quant au pigeon fermier, sa chair foncée rappelle celle du tétras du Canada, tendre mais au goût plus prononcé. Les meilleurs plats de pigeon que j’aie goutés étaient faits à la rôtissoire, issus d’une cuisson lente à feu doux avec un liquide de mouillage comme du jus de pomme ou du vin blanc.

Il ne faut cependant pas oublier que le pigeon biset peut transmettre à l’homme plusieurs maladies dont l’encéphalite, l’ornithose, la salmonellose, la toxoplasmose et l’histoplasmose. Dans les endroits densément utilisés par les pigeons, des ectoparasites (mites, tiques, puces et poux) peuvent infester les lieux et s’attaquer à l’humain. Par conséquence, le port de gants lors de la manipulation et de l’éviscération ainsi qu’une cuisson prolongée sont de mise.

Conclusion

La chasse du pigeon peut s’avérer fort amusante, en plus de permettre aux chasseurs de rendre de bons services aux agriculteurs aux prises parfois avec de véritables infestations de ce volatile dont les fientes, très basiques, attaque la tôle des toits et les revêtements de métal des bâtiments de ferme.  En saison morte, l’hiver en particulier, elle vous fera oublier les longs mois qui viennent avant la prochaine saison de chasse à la sauvagine.  Non seulement elle amène le chasseur à effectuer de beaux coups de fusil mais elle est souvent l’occasion de sortir de l’armoire des armes que vous n’oseriez pas utiliser autrement, que ce soit en raison de leur beauté ou encore de leur calibre. Comme quoi le pigeon des uns fait souvent le bonheur des autres!

Une chasse au pigeon estivale filmée par l’auteur.

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