logo_100_chasse_peche.png

Édition décembre 2023

Renald Routhier regardant attentivement les oies s’approcher des appelants.

FAIT VÉCU

LA DERNIÈRE

valse

Texte, photos et vidéos : 
François Lévesque

Renald Routhier regardant attentivement les oies s’approcher des appelants.

Il y a des moments dans la vie d’un chasseur de sauvagine qui sont si particuliers qu’on ne peut pas les oublier. L’histoire de Renald Routhier en est un.

Samedi 21 octobre 2023, de retour d’une longue journée au champ à traquer la grande oie des neiges. Toute une journée à rêver de sortir de la cache pour gagner mon lit et enfin me reposer.

La saison, bien que fructueuse, semble s’étirer et alourdir mes jambes en raison des nuits trop courtes qu’impose la chasse de la sauvagine sur une base régulière.

Alors que j’entame la phase finale de mon allongement sur le canapé, bien au chaud, le téléphone vibre : l’ami Marc Harvey qui insiste pour que je l’accompagne le lendemain pour une chasse qu’il me dit être spéciale. On chasse souvent ensemble mais cette fois il n’en est pas question, je suis exténué et j’ai prévu me lever aussi tard que possible demain afin de récupérer en prévision de la semaine de travail qui s’en vient. Et la météo annonce de la grosse pluie.

Il m’explique que je dois venir, qu’un de ses amis et client de longue date va nous accompagner pour sa dernière chasse. Monsieur Renald Routhier, grand sauvaginier et participant très actif que ce soit pour les associations, pour la relève et tout ce qui touche la chasse de la sauvagine va participer, demain matin, à la dernière chasse à la grande oie des neiges de sa vie. Il est atteint gravement de la maladie de Parkinson.

La maladie de Parkinson est une maladie du système nerveux à évolution lente qui entraîne une perte du contrôle des muscles. Elle touche environ 1 personne âgée de plus de 40 ans sur 250, 1 personne âgée de plus de 65 ans sur 100, et 1 personne âgée de plus de 80 ans sur 10.

Bien que l’âge moyen d’apparition de la maladie de Parkinson soit 57 ans, il arrive que la maladie débute pendant l’enfance. La maladie de Parkinson touche plutôt les hommes que les femmes. Même si elle n’est pas mortelle en soi, à son dernier stade, elle comporte des risques de pneumonie, de suffocation, de dépression grave et de décès.

Dans le cas de Renald, le pronostic est sombre et il peine déjà à se mouvoir. Ses documents d’aide médicale à mourir sont signés et la date du départ est fixée en janvier 2024.

Il va donc de soi que nous allons faire en sorte que ce confrère sauvaginier vive sa dernière chasse au meilleur de nos efforts. J’en serai! À ce chapitre, mon ami s’est surpassé !! L’arrivée de Renald était fixée à 9 heures du matin.

La cache était préalablement montée par Marc et les appelants bien installés lorsque j’aperçu le camion de Renald apparaître derrière une grosse érablière située au sommet d’une petite montagne surplombant le champ où nous devions chasser. Des membres de la famille accompagnaient Renald qui était assis côté passager. Nous procédons à des salutations d’usage empreintes d’émotions et je guide nos invités en camion jusqu’à la cache, où Marc nous attend.

Dès l’arrivée de Renald aux abords de la cache, moi et Marc nous regardons furtivement, on s’évite presque des yeux car les émotions sont fortes, on ne veut pas éclater l’un devant l’autre. Il est visiblement diminué et ça nous affecte énormément.

On aide M. Routhier à se rendre à la cache car sa maladie l’empêche de se déplacer seul.

Car nous le savons trop bien, nous allons tous plus tôt que tard passer par cette ultime étape, probablement d’une autre façon, probablement à un autre moment et certainement d’une autre cause, mais nous y passeront tous.

Peut-être n’aurons-nous pas cette chance d’une ultime chasse, peut-être la maladie nous en empêchera bref, tant de questions et d’émotions qui nous rappellent la fugacité de nos existences.

La marche vers la cache n’est pas facile, Renald n’ayant plus l’équilibre de ses 20 ans. La pluie abondante a aussi rendu le sol très glissant. Malgré tout, il parvient assez aisément à se rendre à l’installation et à s’y glisser avec l’aide de son fils Jean et de mon ami Marc.

Je me sens tellement mal de tenir la caméra au lieu de sa main pour l’aider mais tous se pressent autour de lui et il finit par rejoindre la chaise que Marc lui a installée au fond de l’abri.

Par ailleurs, nous sommes assez inquiets car depuis la levée du jour, soit bien avant l’arrivée de Renald, ça ne vole pas. Quelques oies passent bien au-dessus de la cache mais en très petits groupes et à des altitudes impensables.

Coup du sort ou chance de cocu, aussitôt installées avec Renald, tout le scénario change. La pluie s’arrête et les oies deviennent suicidaires. Tout semble se mettre en place et les oiseaux convergent à basse altitude au-dessus des appelants. Renald pose déjà les yeux sur un petit groupe d’oies qui filent à bonne allure vers l’installation, ce qui me permet de prendre cette image, celle d’un grand sauvaginier qui pose le regard sur des oies en approche pour la dernière fois de sa vie. C’est la photo la plus intense, la plus sincère, la plus vraie que j’aie jamais prise (voir photo en ouverture d’article).

Le gibier arrive de l’arrière de la cache, par la gauche et par devant bref, il y en a partout. Préparez-vous! Lance Marc aux chasseurs présents. Le petit groupe que Renald observe arrive de l’ouest dans un vent juste assez puissant pour donner l’air d’oiseaux fixés sur un mobile d’enfant, comme figés sur place dans le ciel grisâtre d’octobre, suspendus par un fil invisible. C’est parfait pour le photographe et….pour le tireur!!

Pour cette dernière chasse de M. Routhier, comme par magie les oiseaux ont décidé de collaborer et de s’offrir en spectacle.

Le temps semble s’être arrêté à en croire le mouvement de ces volatiles, mais elles finissent par se commettre et planer au-dessus des appelants. Quelques secondes plus tard, le GO! énergique de mon ami est lancé!

Malgré sa condition, Renald est encore capable! 4 belles oies viennent choir lourdement devant la cache! On s’empresse de récupérer le tout et l’action se poursuit.

Le guide Marc Harvey récupérant des oies récoltées par M. Routhier et les autres chasseurs.

Les oies sont déposées près de Renald dans la cache afin qu’il puisse les admirer à souhait. On veut qu’il en profite à fond! Notre ami s’empare d’une oie juvénile et me regarde. Il se tourne alors vers son oie et lui glisse à l’oreille : toi, tu fais le voyage avec moi!

J’ai la gorge nouée par l’émotion mais j’ai tout de même pu immortaliser la scène.

Le regard heureux de M. Routhier admirant la jeune oie qu’il vient de récolter.

On décide de prendre une petite pause car la condition de notre ami ne lui permet pas d’être recroquevillé et immobile aussi longtemps, même assis sur une chaise.

De retour dans la cache, l’action s’est poursuivie pendant encore une bonne heure, Renald réussissant tant bien que mal à en abattre quelques-unes.

La douleur devenant plus présente et vu sa condition, Renald décide que sa chasse se termine. Marc fait le nécessaire avec la famille pour que Renald regagne le camion et puisse quitter.

Marc Harvey aide M. Routhier à sortir de la cache et le raccompagne jusqu’au camion avec l’aide des membres de sa famille.

Aussitôt le camion disparu au loin, la pluie se remet de la partie et les oies disparaissent, comme si l’espace d’un instant, quelqu’un avait fait un dernier cadeau de Noël à Renald.

En mon nom personnel, celui de Marc et de toute l’équipe du magazine, je vous souhaite un bon voyage. Puissiez-vous trouver la paix!

Renald Routhier : Sauvaginier!

La dernière valse : témoignage de Renald Routhier

Retour en haut